lundi 13 septembre 2010

Robert Glasper et Chris Dave rénovent le Jazz

Jazz à la Villette ce week-end... Pour les vrais fans il y avait un double concert de Robert Glasper : le samedi au Cabaret Sauvage et le dimanche à la Cité de la Musique. Deux occasions de réaliser que ce pianiste atypique et son batteur indissociable (Chris Dave) sont en train de révolutionner le jazz contemporain. Enfin un peu de sang frais dans cette musique qui a trop souvent tendance à se reposer sur ses acquis.

Pas question d'Electro-Jazz ici, de Hip Hop Jazz à la façon des Roots (en leur temps) ou Hocus Pocus and co... Non ici on parle de vrai Jazz. Pas complètement pur ceci dit, et c'est ce qui fait le charme de cette formule. Robert Glasper et ses acolytes sont visiblement très attachés au Hip Hop et ce qu'il a produit de meilleur : J. Dilla évidemment (producteur Hip Hop de référence décédé il y a peu), A Tribe Called Quest, Slum Village, Pete Rock et j'en passe. Certains fans de Jazz classique doivent halluciner en voyant débarquer ces types sur scène : jeans baggy, grosse baskets brillantes et colorées, casquettes à l'américaine un peu de travers. Je les imagine déjà se demander s'ils ne se sont pas trompés de concert.

Mais dès que les premières notes sortent je pense que tout le monde est rassuré. Nous sommes bien à un concert de Jazz. Du Jazz de haut vol d'ailleurs. Selon certains des critiques les plus acerbes en la matière, Robert Glasper et Chris Dave sont respectivement le pianiste et le batteur Jazz à suivre du moment. Des références... N'oublions pas l'excellent bassiste Derrick Hodge qui accompagne le trio de base intitulé "Robert Glasper's Experiment".

Donc techniquement c'est déjà très très fort. Ca tourne même parfois à la démonstration avec Chris Dave. Deux caisse-claires, parfois 3 baguettes dans les mains : ce type est une machine rythmique. Il joue à une vitesse incroyable et ses improvisations en solo comme ses créations rythmiques sont hallucinantes de feeling, d'ingéniosité, de contrastes (tantôt bourrin tantôt super doux, tantôt ternaire, tantôt complètement arythmique pour un non connaisseur, tantôt purement binaire pour sonner Hip Hop sur quelques mesures). Un fou... Mais un dingue diablement créatif.

Monsieur Glasper c'est encore autre chose. Moins dans la démo technique c'est plutôt dans la nuance qu'on se rend compte de son talent. Déjà je pense qu'on peut maintenant dire qu'il a son propre son : inimitable. Quand Glasper est au piano (ou au Rhodes) on sait que c'est lui. Une espèce de mélange de classique (les harmonies), de Jazz évidemment et une touche de Hip Hop que seuls de vrais connaisseurs sauront détecter tellement c'est planqué. Les accords de "Stakes is High" (Jay Dee / De La Soul) revisités, par exemple, puis une boucle de Slum Village en outro d'un morceau où les solos se sont enchainés sur 32 mesures chacun... Atypique, parfois déroutant...

Au festival Jazz à la Villette, ces extraordinaires musiciens nous ont gratifié samedi soir d'un hommage à Roy Ayers avec l'excellent vibraphoniste Stefon Harris (une découverte !) et Casey Benjamin au saxophone, clavier et vocoder (l'homme à tout faire funky, un sourire toujours scotché aux lèvres). Pete Rock, référence du Hip Hop US, était aussi présent pour ambiancer la salle, jouer quelques boucles et cuts et parfois empoigner le micro pour délivrer quelques phases. Pas vraiment indispensable mais vraiment sympa pour l'ambiance. On a aussi eu le privilège d'accueillir Bilal sur 2-3 morceaux... Mais là : fausse note ! Bilal visiblement défoncé n'a rien produit de bon sur scène. Ce chanteur Soul qui a eu son petit succès lors de la sortie de son superbe premier album a bien failli se ridiculiser sur scène. Dommage... Heureusement ce concert fut malgré tout un gros succès : affluence, ambiance, rappels. C'était mérité. Un vrai bel hommage à Roy Ayers avec une interprétation vraiment inattendue de ses morceaux qui étaient même parfois difficiles à reconnaître. Très très bon !



Le lendemain, à la Cité de la Musique, on retrouve uniquement le trio magique : piano, batterie, basse. Bilal, qui était cette fois prévu sur l'ensemble du set (oh merde !), est absent sur scène... Ouf ! Les 3 musiciens nous jouent leur répertoire habituel : des morceaux des 2 deniers albums de Robert Glasper et des hommages discrets à ses références Hip Hop, Jazz ou Soul. A voir absolument ! Et au milieu du set débarque, nonchalant, apparemment aussi défoncé que la veille, monsieur Bilal, vieux pote de Glasper. Merde... Après un début de morceau en demie-teinte le soulman finit par se réveiller un peu et réussit à pousser sa fameuse voix de tête là où il faut, dans des envolées lyriques un peu étranges mais trippantes. En fait Bilal était là et bien là ! Avec une sensibilité déconcertante... Peut-être moins opé qu'il y a quelques années mais on sent que le talent, sa voix particulière et le feeling ne demandent qu'à s'exprimer, enflammés par les encouragement d'un public ouvert. "Weird" comme on dit là-bas !



Pour conclure sur ce week-end 100% Glasper, une petite note sur le potentiel humoristique du pianiste... En effet Glasper se révèle être super marrant sur scène ! Cette manière de désacraliser le Jazz, à base de gros fous rires entre les morceaux, des introductions au second degré, des immitations de lover ou de jazzman intello relou... Glasper pourrait très bien assumer un one man show : tout seul et sans piano. Petit big-up aussi à Chris Dave qui lui donne souvent la réplique.

C'était long ! Mais vous l'aurez compris il y a beaucoup de choses à dire sur ces artistes. Ils méritent la meilleure carrière qu'il soit car ils font beaucoup beaucoup de bien au Jazz ! Et j'aie envie de dire en conclusion, merci car "Stakes is high!".

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Chris Dave s'apprête à sortir un album fin 2010. A surveiller de près !
Idem pour Derrick Hodge.
Sur ces 2 albums on s'attend évidemment à retrouver Robert Glasper mais on parle aussi de Mos Def, Q-Tip, Common, Me'shell Ndegeocello... Ca sent très très bon tout ça...
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